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Écrire, faire revenir son identité

Ecrire une chanson demande du temps, un sujet et une bonne connaissance de soi-même. Ecrire, c’est faire surgir du « soi » aux yeux des autres.

Un auteur n’a qu’une seule histoire à raconter : mais sait-il laquelle ?

Il n’y a pas de sujet qu’on aurait déjà bien en tête et qui suffirait de coucher d’un seul jet sur le papier. Écrire n’est pas transcrire.

Il existe bien sûr un feu intérieur qui ne demande qu’à sortir de nous mais il n’est pas sous forme de mots même si « tout viendra à un moment » comme l’écrivait James Baldwin (photo de 1979, Crédits : Ted Thai / The LIFE Picture Collection – Getty).

James BALDWIN
Crédits : Ted Thai / The LIFE Picture Collection – Getty

Comme le personnage de Gaston Lagaffe, un chansonnier trouve, bien souvent, dans son processus d’écriture une invention à laquelle il ne s’attendait point. En fait, tout est déjà là mais il ne le voit pas. La perception est difficile car on est dans le registre de l’émotion et de la passion amoureuse, là où les mots sont devenus sur le terrain du quotidien souvent impuissants.

Seul un désordre de mots en fête peut permettre de trouver l’image si juste qu’elle va toucher celles et ceux qui écoutent la chanson.

Ces mots qui forgent « la chanson » doivent être considérés comme un matériau noble, c’est du vivant. Ils sont travaillés sur l’axe des idées, le « soleil » appelant la « plage » par association d’idées mais aussi sur l’axe matériel le « soleil » donnant « sommeil » par commutation d’un seul phonème, le [l] devenant [m].

Là aussi, il est important de traiter ces mots en égaux de soi comme Gaston Lagaffe le fait avec ses animaux. Il ne se comporte jamais comme un maître à qui ses animaux lui appartiendraient : chat, mouette, poisson, etc. Il cherche sans cesse à les prendre comme ils sont et simplement à améliorer leur condition de vie. Il en va de même pour un auteur à chansons. Ce n’est pas plus compliqué. On prend les choses comme elles viennent mais avec persévérance. On remet notre cœur à l’ouvrage.

Littérature, chansons et identités

Ainsi, là où la littérature anticipe bien souvent le devenir des mœurs sociaux à venir, voire de la Loi, la chanson est tout son contraire. Elle doit se présenter comme un théâtre où se joue et se rejoue le nœud de toutes ces tensions entre les Hommes qui perdurent. La chanson dépasse le stade de l’explication pour celui de l’émotion ; elle mise tout sur le sentiment.

Mais écrire touche aussi à la question de l’identité, voire d’une pluralité d’identités cherchant à s’exprimer dans une société pas toujours prêtes à les accueillir. Qui sommes-nous vraiment ? Cette question est difficile et se pose d’autant plus à l’auteur de chanson.

Au final, chacune de ces identités peut donner lieu à l’expression d’une chanson. Elle revêt des habits différents mais si le thème reste souvent le même : l’amour.

Chanter l’amour, oui ; mais comment l’écrire ?

Une chanson est une adhésion. Une adhésion à une idée, à une réflexion plus ou moins consciente de la part de son auteur mais qui est là, bien en lui. Cette prise de conscience prend du temps bien évidemment. C’est comme si l’écrivain devait être en assignation individuelle pour réussir enfin à être soi-même avant de pouvoir en faire ce joli cadeau à son auditoire.

Studio Mesa à Soignolles en Bri

Mais comment écrire ce que l’on ne sait pas dire, ce que l’on n’ose point énoncer. Comment dévoiler le mobile sans devenir impudique voire intrusif ? C’est l’un des enjeux de la littérature : faire entendre cette voix différente en dehors des chemins politiques traditionnels, de la justice et des mœurs sociaux de notre époque grâce à une voix douce et poétique.

Ainsi, entre le chemin autobiographique et la dimension toujours fictionnelle d’une chanson, où placer curseur ? Ce fameux couteau du sculpteur ? La réponse est peut-être à chercher du côté de l’intelligence sous toutes ses formes contrant une bêtises souvent gratuite et méchante.

La question du style en écriture

On écrit comme on est mais pas que. On écrit aussi en pillant aux autres une bonne idée ou en référence à quand ce n’est pas à la méthode de…

Le style s’affine aussi avec le temps et se perfectionne grâce aux nombreuses révisions que le texte « subit ».

Mais d’une façon plus personnelle, je dirai que le style est lié à son vécu d’enfance, à sa propre culture, à ses ressassements permanents et d’une manière plus générale à toutes ses portes qui nous résistent.

Le style est ce qui reste quand le propos se veut changeant : une sorte de permanence dans les mille choses à dire. Ces mots qui sont normalement à-côté mais qui trouvent ici, dans cette expression construite par l’auteur, toute leur place.

Le style est aussi affaire d’écoute, le discernement extérieur aide à affiner sa plume, à trouver la bonne formule.

La magie de l’écriture est là, une nouvelle façon de porter la parole entremêlant « mélodie » et « texte » pour en produire une œuvre musicale. Les personnages de dessinent, l’ambiance se pose, la profondeur apparaît et l’effacement du chanteur comme de l’auteur devient évident pour un objet culturel qui le dépasse assurément : la chanson qui prendra son envole bien au-delà du processus créatif qui l’a vu naître.


Crédit de la photo à la Une de l’article : Alvaro SERRANO
Article mis à jour : le lundi 15 février 2021.