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Album Avant-Matin Brèves musicales

Que nous dit la musique que les mots n’arriveront jamais à nous dire ?

Musique et paroles, sens et sons, quels liens entre ces deux entités ?

La musique permet de finir le texte

Dans chaque texte, il y a une partie cachée, une idée non racontée. C’est à ce moment-là que la musique entre en scène. Par son atmosphère, elle y pourvoit. Elle complète le mot qui manque et en donne le ton. La musique apporte alors sa rêverie au texte. Progressivement, les paroles s’envolent, trouvent leur chemin mélodique et c’est à la voix d’assurer à la fois la tenue des notes et le poids des mots. Rien n’est simple. Il faut du souffle, du cœur, de la concentration, de l’écoute et une bonne journée de travail devant soi. Mais plus important encore de l’intensité, car c’est cette énergie là que l’auditeur recevra et devra faire sienne. A ce moment-là, le style de la plume et la musicalité de la voix fusionnent pouvant enfin toucher les cœurs.

On ouvre le piano – Crédit photo : Dolo Iglesias

La musique se vit en « pleine attention »

Que fais-je là ? « La musique, il ne faut pas en parler mais en faire » comme dirait le philosophe Vladimir Jankélévitch. Elle doit être vivante et imprévisible. La musique doit être le contraire de l’ennui, c’est de l’affect et c’est pour cette raison qu’en effet, elle nous affecte. Il y a dans une chanson, une expérience du temps qui est décisive avec son commencement et sa fin. Un remake du cycle de la vie. On la crée, on la fait évoluer, on la rejoue puis on l’oublie.

Dans tous les cas, même si une chanson peut se réécouter plusieurs fois, elle s’inscrira toujours dans une temporalité définie. Ainsi, la charge affective est certes irréversible mais bien contenue ; inscrite dans une durée qui ne varie pas dans son propos mais toujours changeante au moment même de son écoute. « Le devenir temps d’être présent » aurait dit Vladimir Jankélévitch. La musique n’est pas un passe-temps mais un contre-temps à l’imprévisibilité du quotidien. C’est ce qui fait qu’une chanson plaît à nos oreilles !

Le timbre de la voix

Enfin, il y a la voix. La voix et son timbre qui navigue entre simplicité et vivacité. Parfois trop d’air, trop vibrante, souvent trop courte. On le sait vite car l’enregistrement ne laisse rien passer à l’ère du numérique jusqu’à la justesse des notes chantées sur la bande. On ne peut pas être sur des lettres non envoyées, elles nous reviennent immédiatement aux oreilles. Le « s » ne devra pas être trop tenu car sinon elle donnera une sifflante à éliminer lors de l’équalization, l’occlusive « p » pas trop accentuée sinon c’est le micro et l’anti-pop qui absorberont les postillons et plus encore ne pas inventer des voyelles nasales en fin de mots qui n’existent pas comme le fameux « ain ».

Bref, le chant reste difficile car vivant comme l’écrivait Marcel Moreau « Bien des mots ont manqué d’amour, […] tout mot porte en lui sa propre histoire » dans son roman Le violoncelliste (éditions Denoël, 1968). Le chant est image et corps. A ce titre, inutile de s’essayer à vouloir chanter si l’on n’est point en forme. La voix ne triche pas ; elle est le reflet de notre état de santé et parfois même moral.

Le pied tape au sol mais en sourdine, sinon, l’ingénieur du son aura vite fait de nous rappeler à l’ordre car « tout s’entend dans le microphone« . Les mains accompagnent les mots prononcés mais sans pour autant couper la colonne d’air sinon… advient le manque de souffle et ce silence criant dans le micro.

On parle donc bien d’un Art, un vrai casse-tête « chez-moi ».

L’étrangeté de l’Art – Crédit photo : Victor Grabarczyk

La musique, une vie intérieure

La musique est l’Art des sons. La musique est à la fois fluide et abstraite et elle s’adresse directement à nos émotions. Au contraire des autres Arts, elle ne cherche pas à représenter l’extérieur, elle souhaite juste activer le monde intérieur de l’auditeur. Nous faire rentrer en nous-même.

Mais à dire vrai, que recherche-t-on dans une chanson ? les regrets et les pleurs ? une mise en mots quand la parole ne peut plus parler ? Ce silence qui est le verso de la note comme la nuit est au jour ?

Peut-être.

La musique n’est rien d’autre qu’une hospitalité. Qui a déjà vu un guitariste se faire attaquer en pleine rue ? l’improvisation est totale dans la vie comme dans la musique. Même quand la grille harmonique est connue, certains accents, certaines notes prolongées, certains motifs rythmiques insolites vont faire du morceau ce qu’il est. Pour autant, vous trouverez toujours des personnes pour vous dire que la musique est impure car pour exister, elle doit être incarnée. Ce médiateur qu’est l’interprète agace, surtout quand il est au chant. Ce dernier apparait toujours douteux au nom de son égo.

La chanson, un pansement du temps qui passe

En même temps, c’est l’interprète qui permet à la chanson de nous rendre la vie présente et de tendre vers cette réconciliation. La chanson nous protège de la menace. Pensez à ces chansons enfantines qui apaisent depuis « la nuit des temps » les angoisses des jeunes bébés et enfants ou bien à ces musiques qui rallument « tel âge » dans notre vie poétisant alors agréablement notre présent. Ou enfin, à certaines voix reconnaissables parmi mille autres qui nous rassurent de leur chant enveloppant. La chanson est une musique particulière, oui c’est elle qui nous berce quand les doutes apparaissent.

Douceur du soir – Crédit photo : Mohammad Alizade