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Chanson et écriture

Une chanson est souvent la trace d’un sentiment oublié lié à notre passé.

Une chanson est une fondation, une œuvre de jeunesse.
Les paroles n’étant que les premiers ouvrages de l’esprit et des sentiments. Il en est de même pour la musique ; le son et le sens formant un tout distinct et indissociable tel un bateau ivre sur l’océan.

Sur le sommet des vagues, quand virevolte la chanson en pleine mer, c’est qu’elle claque comme une autobiographie par la pensée et nos affres ; une mise à l’index suivie d’une halte d’eau pour enfin pouvoir inspirer dans le creux de la vague.

L’absence d’un père, un amour impossible, une soif de reconnaissance, la découverte de paysages incroyables et le sentiment d’insatisfaction sont autant de sujets sensibles qui alimentent une chanson.

Les mots sont donc là et ils nous préoccupent. Ils viennent et ressassent en tête comme un printemps qui relève de l’adolescence et ne cessent de chanter l’évasion. Les paroles vagabondent et on essaie de les pêcher pour qu’elles ne dérivent plus grâce à la ponctuation et à l’impression.

A chaque saison, sa fugue et sa chanson buissonnière que le songwriter doit réussir à coucher en ordre sur le papier mais… le plus probable c’est qu’on vit et l’on décède plus autrement qu’on ne le voudrait jamais comme les mots vont là où on ne le veut pas.

Ah ! les espérances, nous connaissons déjà tous en nous ce léger voile de gaze qui commence à nous embrumer à l’approche d’une nouvelle que l’on pressent comme douloureuse. « Je est un autre ». Il en est ainsi pour chaque mot écrit sur la feuille blanche du papier d’une chanson. Chaque terme devant rencontrer sa note concubine. À cette idée thématique de départ qu’on redoute, s’ajoute celle de la structuration musicale du morceau. Comme toute histoire, il est nécessaire d’avoir un début et une fin afin de déployer un récit cohérent avec l’habit poétique qui va bien et ce parfum à l’œuvre. Le poète est voleur d’âme, voleur de feu.

Ainsi, à une époque où les francophones lisent de moins en moins de livres, la chanson deviendrait la porte-parole mandatée que personne ne cherche à récuser telle un acte de voyance. Douce et mélancolique par ses rimes, la chanson se comporterait comme une exploitation touristique en chacun de nous. Signe de son époque malgré elle ou annonciatrice d’avenir, la chanson est un concentré de sens du fait de sa faible longueur en quantité d’écrits. Il n’y a pas de place dans une chanson pour des bavardages de type chaînes d’informations en continu mais oui pour les fusées et les illuminations.

Écrire une chanson, c’est apporter la garantie à la personne qui l’écoute que le contenu émotionnel véhiculé est bien coloré et authentique. Il est également important d’accorder une attention toute particulière au rythme musical de l’ensemble. Comme arrivé à l’heure d’un rdv galant ; question d’éducation et de goût. Elle est l’événement jusqu’au cou, écrite en son temps, même si au fond on ne sait plus ce qu’est une bonne chanson !

Écrire une chanson, c’est revenir à l’enfance apprise sachant raconter une histoire où se trouve un problème, un incident et cette angoisse lancinante du cœur. Et, sur ce terrain de la rencontre avec soi-même, il est rare que le choix du thème et de l’émotion se rejoignent pour servir l’œuvre au même moment sur la paillasse.

Telle une suspension du lieu et de la nuit, ce ressort génère ce flottement que l’on ressent quand on écoute une chanson nous touchant en notre for intérieur. Quand la plume ne lutte plus sur le papier et que les mots deviennent évidents, trouvés au rythme d’un pas de marcheur faisant du texte un tassement cohérent et poignant à la fois. C’est alors, que les points aveugles disparaissent laissant la place à la chose à dire, à une flambée, à la levée de masse.

La chanson est un bout de papier journal naviguant entre goût et opinion. Soit, on l’éprouve au fil de son écoute et on y adhère, soit on l’ignorera sans conteste pour toujours. Ainsi, le surgissement de ce sentiment quel qu’il soit transforme l’auditeur en une société secrète fertile, sentant le sang coulé sous notre peau fine. La chanson va à ce qui nous hante sans que l’on puisse même se l’avouer. Cette intrusion discrète et indiscrète dans une chasse réservée à notre intime, fait ressortir notre chaos intérieur. La chanson sort alors du domaine de la conversation et rejoint le jardin secret de nos blessures enfouies et de ces sentiments qui gênent.

Progressivement, l’auditeur devient ombrageux et instable comme l’eau bue par le sable. Allumant alors sa lampe à portée de mains à demi conscient, il comprendra à cet instant précisément qu’une bonne chanson est celle qui parle à notre excès de singularité.

Voilà ce que signifie à mon sens « écrire une chanson », trouver sa fièvre en dehors de cette perpétuelle Bourse aux valeurs et la transmettre pour le meilleur, aux personnes que l’on apprécie particulièrement.