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Humanité & chanson

La découverte de l’alté­rité est celle d’un rapport, non d’une barrière.

La découverte de l’alté­rité est celle d’un rapport, non d’une barrière. La relation à l’autre peut être difficile, mais elle en élargit de manière nécessaire les horizons. Si l’altérité remet en question l’idée qu’on se fait de soi et de sa propre culture, c’est précisément parce qu’elle nous fait sortir du cercle restreint de nos semblables.

Pas d’humanité sans altérité, on pourrait d’ailleurs mettre ce mot au pluriel – altérités – car au-delà des individus se trouvent également l’ensemble des êtres vivants et notre belle et tendre planète.

Crédit photo : Tim MARSHALL

Chanson et Culture

Ainsi, écouter des chansons n’est pas un refus de l’autre. Non, c’est juste un besoin de solitude propre à chaque être humain, celui de se reconnecter avec soi-même avant de s’ouvrir aux Autres.

Autrui, pièce maîtresse de mon univers…

Michel TOURNIER, Vendredi ou les limbes du Pacifique, collection Folio, Éd. Gallimard, 1972, pp. 53-55.

Non seulement, l’altérité n’empêche pas la compréhension de notre patrimoine commun et du vivre ensemble, bien au contraire, c’est de là-même qu’il faut partir.

Écouter une chanson, c’est d’abord une « confrontation » à soi-même et à ceux qui vont l’entendre avec ce processus d’iden­tification qui se met en jeu bien souvent implicitement.

Il est assez facile de faire un lien entre culture, langue et chanson.

Même si le langage ne ressemble plus immédiatement aux choses qu’il nomme, il n’est pas pour autant séparé du monde.

Michel FOUCAULT, les Mots et les Choses, Paris, Ed. Gallimard, 1966, pp 51, 53, 173.

Les nouvelles chansons à succès actuelles prennent racine dans de multiples cultures mettant en œuvre le principe de métissage. Tout est dans tout. Plus de règles, tout continue d’être possible dans le monde des Arts, ce qui est bien sûr positif et vertigineux à la fois.

Crédit photo : Bari ABIKAR

Une chanson, entre singularité et universalité

Il est vrai que la valeur indubitable de la chanson a toujours été d’affirmer la communication de Tous les individus en les touchant émotionnellement au-delà des différences qui existent.

Mais l’imagination est souvent inférieure à la réalité, on le voit en période de guerre ou lors de crise sanitaire. Et quand l’auditeur écoute une chanson, il vit la contradictoire expérience de l’étrangeté et de la familiarité, du collectif et de l’intime à la fois.

Il existe donc au-delà du contenu même des chansons proposées et de leur richesse, des écoutes très variables pour la même et unique chanson en fonction de notre propre sensibilité.

En effet, il faut bien admettre que l’on écoute une chanson à partir de notre vécu et de notre cœur. Il est également vrai qu’à toutes les époques, les individus ont toujours chanté pour se donner du courage, surtout dans les temps difficiles. En ce sens, la chanson appartient par nature même aux individus tout en étant une des conditions générales de leur Culture.

Ainsi, chaque chanson exprime en sa manière un univers social. La structure même de la chanson nous renseigne sur l’organisation de la société et son époque. Elle est un mode de communication entre individus ou groupes qui fait vie en société des simples soirées devant la cheminée à l’écoute des radios FM sur les ondes.

Même s’il y a bien diffusion, la chanson reste une communication lente des réalités de la société qui nous entoure. Chaque chanson est inscrite dans un réseau. Elles se répondent et se font échos les unes aux autres jusqu’à en former un système entre les par­ties duquel on peut découvrir des connexions, des équivalences et des solidarités.

Les chansons sont donc d’abord des produits de l’activité sociale… qui sont rendus comparables entre elles par ce caractère commun que toutes possèdent d’être communicables.

L’idée essentielle qu’il nous faut noter est que, même si le talent et le génie de l’artiste comportent un moment naturel, ce moment n’en demande pas moins […] une réflexion sur le mode de sa production ainsi qu’un savoir-faire exercé et assuré dans l’exécution.

HEGEL, cours d’esthétique I, traduction J.-P. LEFEBVRE et V. VON SCHENCK, Paris, Aubier, 1995 (Bibliothèque philosophique) p. 40

Une chanson, un acte gratuit

Dans le même temps, une chanson ne cherche pas de contre-partie, juste à rendre compte d’une situation. Il faut donc, paraphrasant Durkheim, traiter les mots comme des valeurs, précisément parce que les mots sont comme des choses porteurs de sens pour ceux qui les emploient.

Parce qu’en effet certains termes sont simultanément per­çus comme ayant une valeur à la fois pour celui qui parle et pour celui qui écoute. Les mots ont un sens, voire plusieurs. Comment les choisir au mieux et les mettre ensemble de manière signifiante ? Là est le travail de l’auteur.

Il ne s’agit pas d’éliminer la subjec­tivité ressentie à l’écoute d’une chanson, mettant bien souvent en lumière la trace d’un itinéraire enfoui, mais juste d’essayer de toucher ce sens commun qui nous traverse en écoutant un morceau musical.

La chanson est avant tout une aventure humaine permettant l’échange entre les individus et donnant à voir par son œuvre les transparences de nos sociétés. Si tout n’est pas saisissable à la première écoute, c’est que la chanson agit comme un reflet qui ne permet de voir que soi-même dans un premier temps avant de pouvoir aller plus loin telle une promesse en l’avenir.

Dans l’imagination errante tout est promesse, par des émotions sans mesure.

ALAIN, Système des beaux-arts, livre 1, chapitre VII.

Ainsi, la chanson naît toujours sur le terreau des relations humaines et quand l’angle choisi par l’auteur sert son propos, alors celle-ci apporte aux auditeurs cet enchantement nous faisant passer de simples fantômes actuels à ces tendres poètes du lendemain pour qui « tout devient possible ».

Crédit photo : Jordan WOZNIAK