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Apologie de la jeunesse ou de la maturité dans l’Art ?

Qu’est-ce qu’être artiste en 2021 : impressionné ou impressionniste ?

Quel âge as-tu ?

L’âge compterait plus que la proposition artistique, c’est le sentiment qu’un certain nombre d’artistes ont depuis quelques temps au regard du nombre de likes générés sur certains réseaux sociaux et cette prime à la jeunesse.

De quoi nous faire perdre le calme Tibétain qui est en nous ! D’autant plus quand on peut lire que « la chanson peine à trouver son âge adulte » dans les revues spécialisées de la chanson française !

Je ne sais pas pour vous mais quant à moi j’aime les tisseurs d’extensions, les jeux de mots et ces déclinaisons à une lettre écrites avec soin dans un cahier de chansons qui transpire l’expérience.

André Derain, Arlequin à la guitare.

Sans retomber à l’époque des Polaroids et sans tomber dans une noirceur d’écrits engagés, il reste un état d’esprit, celui de prendre de la hauteur et de reconnaître une belle rencontre quand celle-ci se présente à nous. Après tout, la fin du voyage est la même pour tous et l’âge importe peu au bout du chemin.

Pestons contre ces années qui n’en disent pas plus de nous que de simples mots. A ce jeu très subtil, les mots gagnent par truchement, ils sonnent le reflet de notre âme et dévoilent chez nous des inconscients bien gardés. 

Mais la chanson est un alibi à s’exprimer par écrit, à trouver de nouvelles sonorités et à panser nos maux ; comme le disait Francis CABREL, on est tous « quelqu’un de l’intérieur ».

Le temps court…

Henri Rousseau, La falaise.

Ainsi, il est difficile d’être direct et poète à la fois, de trouver un centre de convergence sans tomber dans un spam textuel sans sens si on n’a pas un minimum vécu sur terre. Il ne faudrait pas que l’absurde pointe son nez au détour d’un vers comique qui n’aurait pas dû l’être !

A croire que pour sortir sur les réseaux sociaux, il faut dorénavant porter un projet solidaire ou bien être le leader d’un collectif aux fortes valeurs de fraternité. Comme si la chanson ne se suffisait plus à elle-même. Les thèmes du voyage, de l’amour, des portraits ne plaisent plus. Tout va trop vite maintenant ? Il faut être dans le fait-divers sensationnel pour que ça buzz. On ne peut plus escalader la falaise qu’elle doit déjà être gravie.

Mais comment faire quand on s’y refuse ? Ne reste qu’une seule voie à suivre : parier sur la qualité. C’est le seul critère qui vaille et qui soutient sur du long terme l’oeuvre produite. Finalement, seul le temps juge avec honnêteté la proposition artistique créée. Combien d’artistes ont la « côte » maintenant alors qu’ils étaient très critiqués de leur vivant voire ignorés ?

L’attention à la voix, aux paroles, aux harmonies de la chanson et à sa mélodie n’est pas dépassée de mode. Et pour cela, je vous prie de bien vouloir me croire, il faut des années.

Là, où l’artiste doit prendre son temps, la société l’exulte à aller toujours plus vite, plus loin. Mais pour aller où ? Il doit réussir à résister à cette mécanique bien huilée et choisir sa propre route artistique. Et pour cela, le chansonnier doit prendre son temps.

Un disque, il faut le laisser grandir. L’intime ne se met pas à nu aussi facilement. Cela nécessite du temps pour réussir à toucher une certaine forme d’universalité. Chaque chanson est une déclaration d’amour, un endroit secret qu’on fait découvrir à l’auditeur. Il n’y a pas d’apprivoisement sans temps qui passe tel le lit d’une rivière à suivre. 

Être artiste, un art de vivre

Paul Cézanne, paysage de Provence.

Etre un chanteur en liberté est donc une espèce en voie de disparition. L’âge arrivant, il se meure. Qu’on se le tienne pour dit ! La solitude gagne du terrain et les voyages deviennent des lieux d’assignation à résidence sans artiste chantant les louanges du quotidien. Heureusement, l’oeuvre quant à elle… voyage dans nos têtes, dans nos coeurs, entre amis et vogue toujours de pays en pays. Pour cela, il faut du temps. L’inconnu et le bout du monde ne peuvent se voir par nos simples fenêtres ouvertes.

Tout créateur est un évadé d’histoires où se cachent des personnages drôles et acidulés dans son cerveau créatif. On a tous un Monsieur Tournesol en tête. Ces textes inspirés nous font respirer, nous laisser entrevoir une odyssée possible, une idylle accessible… Cette musique nous berce et nous renvoie au temps de l’enfance. Celle où les temps de récréations nous semblaient toujours plus courts que les 20 minutes imparties.

Même à l’heure des réseaux sociaux supra-connectés, les chansons parlent de nos fragilités avec poésie et la mère-nature. Mais comme toutes les histoires, elles se doivent d’être bouclées et j’opte donc pour ma propre bande-son en la créant spécifiquement pour mes tympans. Tant mieux si elle plaît à d’autres sinon, j’en aurai au moins profité personnellement.

Je suis un conteur d’histoires, un faiseur de laïus. Je pars au large afin de limiter tout débordement et respirer cet air qui nous manque tant avec ce port du masque obligatoire sur le nez.

L’artiste est un observateur

Chaïm Soutine, Leș maisons.

Heureusement mes yeux sont grands ouverts, quasi à découverts. Et je vois, je vois même avec mon grand âge. Je deviens cet oiseau posé sur la rambarde du phare observant au loin les ombres et lumières dans les vagues. Nulles inflexions Méditerranéennes, soyons juste transportés telle une carte postale en apesanteur passant de main en main, de village en village et observons ensemble ces nouveaux paysages avec pour seule question : qu’est-ce qui compte vraiment ? l’imagerie créée par une chanson ou bien l’âge de son créateur ? L’artiste doit avoir sa tonalité, une sorte de vision hallucinée pour mettre en valeur ce détail qui change tout. L’âge apporte cette première garantie nécessaire.

« Longtemps, longtemps, longtemps / Après que les poètes ont disparu / Leurs chansons courent encore dans les rues / La foule les chante un peu distraite / En ignorant le nom de l’auteur / Sans savoir pour qui battait leur coeur »

(Charles TRENET, 1951, dans L’âme des poètes).

A bon entendeur… portez vous bien.

Laïus.


Crédits photos : musée de l’Orangerie à Paris, collection permanente « Les artistes ».
Peinture à la Une de l’article : « La Mairie au drapeau » de Maurice Utrillo (1883-1955).