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La force des mots

Le rôle de l’artiste est de s’arrêter à chaque détail. Il observe tout, le plus horrible comme le plus beau et les couche sur une page d’écriture.

Le rôle de l’artiste est de s’arrêter à chaque détail, qui bien souvent n’en est pas un.

Il observe tout, le plus horrible comme le plus beau et il le transforme en encre noire.

Pour cela, il faut bien sûr prendre son temps ; s’assurer si c’est aussi bien qu’il n’y paraît. Vérifier les plis du manteau. Que cela soit une bande dessinée, une petite histoire ou un premier roman parlant d’un vêtement magique, l’écriture est la peinture des écrivains, une façon de s’habiller.

Avec de l’encre, on peut ranger dans un ordre bien précis les actions du monde ou au contraire n’en avoir aucune attente et se laisser glisser au fil de sa plume sous une lune lointaine.

Mais le plus souvent, des gardiens guettent les abords du pont. Faisant en sorte d’y barrer l’accès ; coupant le chemin aux rêves. Et à côté des châteaux de sable construit plus loin sur la plage, signe de l’enfance d’autres enfants s’y retrouvent échoués, seuls, débarqués par des bateaux de passeurs.

Progressivement, les noms sur les cartes s’envolent en fumée, et pendant qu’on tend les bras par amour, nos deux autres mains peuvent devenir des pistolets. Nous sommes comme des espions en mission secrète, tel est le rôle du créateur, intégrer la danse du monde ou non ? telle est la question.

Puisque le jour se lève, redevenons ces enfants à la marche sûre. Nous sommes ces souffles sur la pelouse et nous tournons, tournons en rond, chaque bras touchant le bras d’à-côté formant ainsi un cercle entier, jusqu’à se retrouver pris dans un seul corps, celui de la ronde du monde.

Dehors, le soleil brille, il ne brûle pas encore. Qu’est-ce ce qu’être auteur, intégrer cette ronde et la faire sienne ou en sortir et mieux l’observer ? Errer sur ce sable brûlant ou attendre cette heure dorée pour marcher sur la plage enfin pieds nus.

En fait, la vraie interrogation devrait plutôt être : est-ce que les pratiques artistiques demandent une forme d’égoïsme particulière ? Que l’on soit Ingénieur du son ou Interprète de chansons, quel temps et quel regard s’accorde-t-on pour observer nos sociétés qui tournent bien souvent à l’envers ?

Il est vrai que toute action engage dans le temps d’autant plus si elle est passion. Ici, on approche une zone mystérieuse, une sorte de délicieux contour, de délicieux détour. C’est un endroit qui représente l’inconscient où toute aventure est possible.

Pour les canadiens, cela se passe dans le Nord, mais pour les français, cette zone mythique se trouve à la campagne, à la lisière de la forêt et des collines dans l’arrière-pays.

Chaque pays a sa propre conception de soi et de son for intérieur, cette sorte de cour aux pavés devant le Roi où l’on peut créer. Une mythologie liée à sa géographie en quelque sorte. Un lieu où l’on refuse de se perdre et par-dessus tout d’en être victime. C’est à ces deux seules conditions que l’on peut inventer, écrire, composer.

Malheureusement, l’écriture reste toujours aussi mauvaise, elle ne s’améliore pas avec le temps même si on arrive à vivre avec ce qui est écrit en comprenant l’implicite des entre-lignes. C’est un parcours de vie, un voyage avec soi-même.

Bien souvent, le public a le désir de rencontrer un artiste quand il a réussi à bouleverser leur vie en raison de sa pertinence universelle comme une voix faisant écho au plus profond de leur être.

Mais la vérité est que les beaux moments sont souvent trop courts, surtout quand la poésie vient frapper à sa porte. Sur les lignes d’horizon, à pieds défendus, la vie est un concours où personne ne gagne. Quoique l’on fasse, le temps court.

Il y a tous en nous ce côté destructeur, il suffit de voir notre planète évoluer pour le constater. Pourtant dans la nature, au grand air, il y a ce côté spirituel avec toutes ces couleurs et ses formes. Les oiseaux sont comme des esprits avec leurs grandes ailes. A croire que la poésie y a trouvé son repaire, lieu où on espère.

Créer n’est donc pas une simple expression de soi mais un dialogue avec le monde sous le regard de la nature. Après ce type d’engagement, dire ce que j’ai à dire, faire passer un message d’humanité, il ne reste plus que l’oubli sur la rive d’où nous sommes partis. Peut-on faire bouger les choses en chantant ? ou devenons-nous encore ramer jusqu’au dernier banc de sable protecteur ? Il est loin le temps du 1er métro et de la fée électricité de 1890 annonçant un siècle nouveau. Ce décor cachant bien ces corps et ces pensées tant qu’on n’essaye pas d’effrayer les chevaux.

Alors oui, en rentrant chez moi, je me dis que seule la force des mots peut redonner la souveraineté à ce monde. Un trait de plume pour décrire ce qu’il y a de plus beau chez nous. Trouver les mots justes et aller voir au-dessus des murs, c’est ma façon à moi d’aller vers Vous, tout en chanson.


Crédit photo : Clem ONOJEGGHUO

Texte en hommage à Charles FROSSARD, un ami parti trop vite.